6.3.7.1 Cas du salarié en contrat de travail à durée indéterminée (CDI)
La loi envisage la situation. Les termes de la loi sont les suivants : « Lorsqu’un salarié soumis à l’obligation prévue aux 1° et 2° du A du
présent II ne présente pas les justificatifs, certificats ou résultats dont ces dispositions lui imposent la présentation et s’il ne choisit pas d’utiliser,
avec l’accord de son employeur, des jours de repos conventionnels ou des jours de congés payés, ce dernier lui notifie par tout moyen,
le jour même, la suspension de son contrat de travail. Cette suspension, qui s’accompagne de l’interruption du versement de la rémunération,
prend fin dès que le salarié produit les justificatifs requis.
Lorsque la situation mentionnée au premier alinéa du présent 1 se prolonge au-delà d’une durée équivalente de trois jours travaillés, l’employeur
convoque le salarié à un entretien afin d’examiner avec lui les moyens de régulariser sa situation, notamment les possibilités d’affectation,
le cas échéant temporaire, au sein de l’entreprise sur un autre poste non soumis à cette obligation. »
Il y aura donc une procédure spécifique créée en droit du travail, et qui concernerait uniquement l’hypothèse dans laquelle le passe sanitaire
est juridiquement obligatoire et qu’un salarié refuse de le présenter.
La procédure (visée aux articles 1er et 14 de la loi) est la suivante :
1re étape : lorsque l’employeur constate que le salarié ne dispose pas d’un passe sanitaire ou refuse de le présenter alors qu’il y est légalement
tenu, l’employeur informe (par tout moyen, la loi n’apportant aucune précision sur ce point) le salarié en question de son impossibilité de travailler,
par application de la loi.
Même si la loi ne l’impose pas formellement, la tenue d’un entretien entre l’employeur et le salarié est sous-jacente au rédactionnel retenu par
le législateur. Au cours de cet entretien, doit être obligatoirement envisagée la possibilité d’utiliser les jours de repos conventionnels ou de
congés payés s’ils existent. Le recours à l’utilisation de jours de congés ne peut pas être imposé au salarié, et celui-ci ne peut pas davantage
l’imposer à son employeur.
2e étape : en cas d’impossibilité d’utiliser des jours de congés, ou de refus soit du salarié, soit de l’employeur (qui devra motiver ce refus),
l’employeur doit obligatoirement notifier au salarié, le jour même, la suspension de son contrat de travail (par voie de conséquence, la rémunération
du salarié n’a plus lieu d’être). Il faut bien noter que le recours à un licenciement à ce stade de la procédure est exclu. Un licenciement
pourrait alors être annulé pour discrimination liée à l’état de santé du salarié.
L’expression consistant à dire qu’il convient de tenter d’expliquer au salarié quels sont les « moyens de régulariser sa situation » est une terminologie
pour le moins vague. La loi ne fait pas mention d’une obligation d’affectation temporaire à un autre poste de travail qui pèserait sur
l’employeur (et qui serait une obligation de moyen et non pas une obligation de résultat).
3e étape : La loi prévoit en son article 1er que lorsque la situation d’absence de présentation d’un passe sanitaire se prolonge au delà d’une
durée équivalente à trois jours travaillés, l’employeur convoque (obligatoirement) « le salarié à un entretien afin d’examiner avec lui les moyens
de régulariser sa situation, notamment les possibilités d’affectation, le cas échéant temporaire, au sein de l’entreprise sur un autre poste non
soumis à cette obligation ».
Le Ministère du Travail a mis en place un questions-réponses sur le passe sanitaire et l’obligation vaccinale (voir ci-après). Il y est notamment
fait référence à la problématique de la suspension du contrat de travail.
L’adverbe « notamment » permet de considérer que l’affectation éventuelle à un autre poste n’est pas la seule option possible. L’option du
télétravail, si celui-ci est possible, est envisageable.
Les services du Ministère du Travail soulignent qu’il n’y a aucun formalisme légal à respecter mais conseillent, pour des questions de preuve,
le respect d’un certain formalisme (dans l’envoi d’une convocation et de la retranscription de l’entretien). Le questions-réponses du Ministère
du Travail énonce : « Aucune disposition particulière n’est prévue s’agissant des modalités de convocation du salarié à l’entretien ayant pour
objet d’examiner les moyens de régulariser sa situation. Pour autant, un certain formalisme pourra utilement être respecté afin de limiter toute
contestation de forme en convoquant le salarié suspendu par tout moyen conférant date certaine à cette convocation. Par ailleurs, il est
recommandé de retracer par écrit le déroulé de l’entretien et les éventuelles décisions qui seraient arrêtées à son issue. »
Voir le questions-réponses du Ministère du Travail portant sur le passe sanitaire et l’obligation vaccinale :
https://travail-emploi.gouv.fr/le-ministere-en-action/coronavirus-Covid-19/questions-reponses-par-theme/article/obligation-de-vaccination-oude-
detenir-un-pass-sanitaire-pour-certaines#2
On peut se demander si un salarié qui refuserait de se rendre à l’entretien commettrait ou non une faute disciplinaire. Si cela engendre
une situation de blocage persistante, empêchant même l’employeur de tenter de trouver une solution, la réponse pourrait être positive.
L’employeur pourrait-il alors d’office procéder à la suspension de son contrat de travail ? Il n’existe aucune certitude à ce sujet. Qu’il y ait ou
non suspension du contrat, on pourrait éventuellement considérer qu’un salarié refusant de se rendre à l’entretien ans motif valable considérer
qu’il manque à son obligation de loyauté (qui perdure même pendant la suspension du contrat de travail).
À la lecture du questions-réponses du Ministère du Travail (a priori dépourvu de toute valeur juridique) l’on comprend que pèse sur l’employeur
une obligation de tenter, autant que possible, d’éviter une rupture du contrat de travail en essayant de procéder à l’affectation temporaire du
salarié sur un autre poste.
En effet, il est indiqué : « Parmi les moyens de régularisation figurent l’affectation temporaire à un poste non-soumis à l’obligation susmentionnée
si les besoins et l’organisation de l’entreprise le permettent ou le télétravail, lorsque les missions sont éligibles à ce mode d’organisation
de travail. »
Une difficulté survient forcément alors : s’agissant d’établissements pour lesquels la présentation du passe sanitaire est obligatoire, comment
l’employeur pourrait-il affecter le salarié à un autre poste au sein même de l’établissement alors que l’accès aux locaux est conditionné par la
présentation d’un passe sanitaire ?
Les déclarations de la Ministre du Travail Élisabeth BORNE montrent d’ailleurs que les pouvoirs publics considèrent que c’est au niveau de
l’établissement que se situe l’obligation de présentation d’un passe sanitaire et non pas au niveau de chaque poste individuel : « Notre logique
est simple : après le 30 août, si vous travaillez dans un établissement soumis au passe sanitaire, vous devez avoir vous-même un passe
sanitaire pour garantir qu’il n’y aura pas de risque de contamination dans ce lieu. Si vous ne pouvez pas le produire, vous ne pourrez pas y
travailler ».
Cette déclaration semble être en contradiction avec les termes de la loi précédemment mentionnés qui évoquent la faculté de réaffecter
temporairement le salarié sur un poste au sein de l’entreprise, poste non soumis à obligation de présentation du passe sanitaire. Pourtant,
l’habilitation du Premier Ministre telle prévue par la même loi est rédigée comme suit : le Premier Ministre peut subordonner « l’accès à certains
lieux, établissements, services ou évènements où sont exercées les activités suivantes (…) » à la présentation d’un passe sanitaire.
C’est donc bien la logique d’activités qui prédomine, et non pas la logique d’une appréciation d’une obligation de présentation du passe
sanitaire poste par poste au sein d’une même entreprise. On peut donc en déduire qu’il ne sera pas possible d’affecter un salarié à un autre
poste du même établissement, puisque la question de la présentation du passe sanitaire ne sera pas résolue. Des entreprises de dimension
plus importante pourraient en revanche être conduites à proposer une affectation temporaire au sein d’un établissement non soumis à l’obligation
de présentation d’un passe sanitaire.
Que peut faire l’employeur en cas de refus d’une proposition d’affectation par le salarié ou d’une impossibilité d’une telle affectation ? La
réponse peut être la suivante : on peut envisager que l’employeur doive encore attendre quelque temps, puis mettre en demeure le salarié de
régulariser sa situation avant d’envisager un licenciement, soit pour inaptitude (ce qui implique de solliciter les services de prévention et de
santé au travail) soit pour trouble objectif au bon fonctionnement de l’entreprise.
En effet, en l’état actuel du droit, deux motifs de licenciement (outre, dans certains cas extrêmes, éventuellement un motif disciplinaire)
semblent pouvoir être utilisés par l’employeur :
a) le licenciement pour inaptitude : l’employeur pourrait solliciter le médecin du travail pour examiner la situation d’un salarié qui ne disposerait
pas d’un passe sanitaire alors même que celui-ci serait obligatoire pour son poste de travail de par la loi. Il pourrait alors être déclaré inapte,
ce qui conférerait à l’employeur un motif réel et sérieux de licenciement.
b) le licenciement pour trouble objectif au bon fonctionnement de l’entreprise : l’absence prolongée (ou les absences répétées) d’un salarié
peuvent, lorsqu’elles perturbent le bon fonctionnement de l’entreprise (et non pas uniquement d’un service isolé) justifier un licenciement pour
motif personnel mais non-disciplinaire.
Néanmoins, la jurisprudence exige que l’employeur démontre à la fois la perturbation objective dans le bon fonctionnement de l’entreprise
et la nécessité de remplacer le salarié absent par un autre salarié, et ce dans le cadre d’un CDI (l’employeur doit d’ailleurs prouver l’existence
de démarches en ce sens à une date concomitante de celle du licenciement ou prouver l’existence d’une embauche à une période également
proche du licenciement).
Le questions-réponses du Ministère du Travail relatif au passe sanitaire et à l’obligation vaccinale permet de considérer que le licenciement
peut être envisagée en l’absence d’autres alternatives puisqu’il est indiqué : « À l’issue et dans le cas d’une situation de blocage persistante,
les procédures de droit commun concernant les contrats de travail peuvent s’appliquer. » Par procédures de droit commun, il faut naturellement
entendre procédures de licenciement.
Reste un point plus sujet à interprétation : à partir de quand considère-t-on qu’il existe une situation de blocage persistante ? Une semaine ?
Plusieurs semaines ? Un mois ? La réponse n’est pas simple, et n’est pas fournie par les dispositions légales et réglementaires pas plus que
par le questions-réponses du Ministère du Travail. Elle peut dépendre du mode d’organisation de l’entreprise, de sa taille et de la désorganisation
générée par la situation.
Autrement dit, un salarié peut toujours refuser (sauf à ce qu’elle soit rendue obligatoire le concernant) d’être vacciné tout en se trouvant en
capacité de présenter un passe sanitaire en se situant dans l’une des deux autres situations envisagées.